Proposé par I.O. Eq. Justitia Salutare
Introduction :
Le Traité sur la réintégration, écrit à la veille de la révolution française, constitue un des fondements du RER et du martinisme. Écrit à la manière d’un midrach judéo-chrétien, il pose un regard ésotérique sur les grands épisodes rapportés par la Bible : la création de l’univers, l’exil d’Adam loin du Paradis, Moïse, le Christ… Il témoigne de la nécessité d'un retour vers le divin : la réintégration, dont il s’efforce de présenter les étapes à travers l’histoire de l'humanité. On peut dire que le Traité de Martinès de Pasqually est l’un des textes fondamentaux de l'ésotérisme occidental, et plus particulièrement de l’illuminisme et de la théurgie.
Tous les êtres proviennent de Dieu, nous dit Martinès de Pasqually : directement, les esprits ; par le ministère des anges, les corps matériels. La matière manque donc de réalité, quoiqu'elle se prête, dans l'état présent du monde, aussi bien à un bon qu'à un mauvais usage ; mais le lieu normal des esprits est la cour divine. Or, maints esprits, dont l'homme originel, se sont laissés aveugler par la gloire de leurs dons divins, au point d'en vouloir oublier la gloire de Dieu. À chaque homme, à certains particulièrement, d'opérer, en compagnie des anges fidèles, avec la grâce de Dieu et selon ses instructions, afin d'être réconciliés et d'aider à la réconciliation du genre humain. En fin de compte, la matière éclatera dans le néant, et tous les esprits seront réintégrés.
Problématique :
Comment cette réconciliation et cette réintégration sont-elles devenues nécessaires ?
Un très rare maître d'initiation, Martinès de Pasqually, répond:
Une science la développe et l'applique, autour de ce mot clef: la réintégration. Science de l'homme assurément, et qui comble seule notre plus haut désir. Elle est science divine, en effet, et l'homme est homme-Dieu. Où étudier cette science aux techniques efficaces, avant de maîtriser son objet, sinon dans le Traité sur la réintégration?
Martinès de Pasqually remettra cet ouvrage aux Réaux –Croix dernier Grade des Elus Cohens maçons de l’univers ,constitués selon ses Statuts généraux de 1767 .
Cet unique ouvrage de Martinès de Pasqually reste malheureusement inachevé , il nous appartient peut-être de poursuivre cette oeuvre avec les moyens et les éclairages qui sont les nôtres aujourd’hui !
Cette Doctrine, cet enseignement, Martines le dispensa dans son école, oralement et au moyen des instructions des différents grades.
Ordre Des Elus Coëns Maçons de l’Univers : a qui a été dispensé la doctrine de la réintégration
L'Ordre était constitué des grades suivants, eux-mêmes souvent répartis en sept classes :
-Apprenti, compagnon, maître (1ère classe) ;
-Maître élu (2e classe) ;
-Apprenti coën, compagnon coën, maître coën (3e classe);
-Grand architecte (4e classe) ;
-Chevalier d'orient (5e classe) ;
-Commandeur d'orient (6e classe) ;
-Réau-croix (7e classe) .
Le Traité :
De toute éternité, avant le temps comme le précise Martinès : Dieu engendre des êtres.
Il émane pour sa propre gloire des esprits libres qui composent sa cour, ou immensité divine.
Certains de ces êtres spirituels vont se rebeller contre le Créateur, et leur faute spirituelle contamine même les esprits demeurés fidèles à l'Eternel.
Dieu va devoir donc protéger ces derniers, punir les esprits infidèles, mais leur permettre tout de même de retrouver leur état originel , perdu.
Il les chasse de sa cour Divine, pour les enfermer dans l’univers matériel qu’il créé à cet effet .
Les mauvais esprits ayant souillé les anges fidèles , Dieu émane un gardien, également éducateur, à son image et à sa ressemblance, il s’agit d’une nouvelle classe d’esprits, supérieurs aux premiers car non souillés, c’est l’homme .
Puis Dieu détache de cette nouvelle classe un esprit particulier qui aura pour mission de veiller sur les démons, et d'aider à leur réintégration: c'est Adam, l'homme-Dieu de l'univers.
Mais l’orgueil s’empare d’Adam qui pêche à son tour, après que le prince des esprits déchus lui ait suggéré d'engendrer seul une autre créature, qui dépendrait de lui, comme lui-même dépendait de Dieu.
C’est un échec : Eve, engendrée par Adam, sera une créature pourvue d'un corps ténébreux.
Logiquement Adam se verra lui aussi affligé d'un corps semblable.
Ce sera la seconde chute : Adam, emprisonné dans la matière, va entrer dans le monde et perdra le contact direct avec l’Eternel.
Il est évident que cet état le prive de ses pouvoirs initiaux, il est obligé d’envisager la mise en pratique d’un culte pour pouvoir retrouver sa grandeur initiale.
Dès lors, selon Martinès, Adam, et ses descendants dont nous sommes, ne seront plus capables d'opérations purement spirituelles, mais seulement d'actions « spirituelles temporelles ».
D'où la théurgie cérémonielle, spirituelle et temporelle, avec certes de grandes, belles et efficaces prières, mais aussi avec des rites qui impliquent noms, gestes, parfums, cercles et symboles.
Ces opérations de magie divine, selon Martinès, devront permettre à l'homme repenti d'obtenir le pardon de Dieu, et de recouvrer provisoirement les pouvoirs dont l'Eternel avait investi Adam.
L'homme peut alors entrer en rapport avec les êtres spirituels, les anges demeurés fidèles à Dieu, dont il lui faut requérir l'assistance en vue d'exorciser les démons et de les réintégrer, ainsi qu'Adam en avait reçu la primitive mission.
Conséquences applicatives du Traité : La théurgie
L’élu Cohen a donc le droit et le devoir de célébrer le culte primitif. Mais cette pratique théurgique, exige une véritable consécration à la fonction sacerdotale, puisque les coëns sont bien, selon Martines, de véritables prêtres de l'Eternel.
D’ailleurs pour Papus, le martinésisme consiste «en l'acquisition, par la pureté corporelle, animique et spirituelle des pouvoirs qui permettent à l'homme d'entrer en relations avec les êtres invisibles, ceux que les églises appellent les anges, et de parvenir ainsi, non seulement à la réintégration personnelle de l'opérateur, mais encore à celle de tous ses disciples de bonne volonté”.
Le terme ‘théurgie’ nous vient du grec théos, Dieu, et ergon, ouvrage.
Il signifie opération divine, il paraît avoir été introduit dans le vocabulaire philosophique et théologique par les Alexandrins qui pensaient que les humains pouvaient se mettre effectivement en relation avec la divinité ou, plus généralement, avec les puissances surnaturelles .
Chez les Coëns , la Théurgie est issue du changement des lois cérémoniales d’opération, que la chute d’Adam nécessita.
Le théurge s’imposera une hygiène de corps , d’âme et d’esprit rigoureuse .
“Vous ne mangerez plus, de votre vie Durant , du sang de pas une espèce d’animaux…vous jeunerez soigneusement les temps qui vous seront ordonnés”
Le théurge devra bien entendu prier plusieurs fois par jour, à six heures du matin ,à midi, à six heures du soir et à minuit. Etc…
Ces règles strictes permettaient donc aux élus coëns de pratiquer des opérations visant à entrer en contact avec des entités, cette méthode nommée externe , ne satisfaisait pas pleinement Louis Claude de Saint Martin, qui s’oriente plus volontiers vers une méthode visant à solliciter l”interne”, c’est à dire à entrer en communion avec Dieu par la prière sans utilisation d’intermédiaires :” Nous avons toujours l’autel avec nous qui est notre Coeur, le Sacrificateur qui est notre parole et le Sacrifice qui est notre Corps” (leçon de lyon n.76 SM)
Quelle influence le Traité a-t-il eu sur le RER ? :
Willermoz a confié au Rite écossais rectifié la doctrine des élus coëns, mais il
n'y a pas transmis la pratique théurgique. Et s'il est vrai que beaucoup de coëns se sont retrouvés dans l'Ordre des chevaliers bienfaisants de la Cité sainte, aucun n'y a rien révélé de la théurgie cérémonielle, ni même de l'existence de cette théurgie elle- même.
La doctrine de la réintégration a donc été exposée dans le RER, sous une forme symbolique dans les premiers grades, puis de plus en plus clairement dans l'Ordre intérieur, et enfin d'une manière complète, quoique résumée, dans la double classe secrète qui coiffe le régime.
« Que demeure-t-il du mouvement lancé par Martines de Pasqually, et où peut-on retrouver une filiation ? rituelle indiscutable, ininterrompue? »
A cette question Robert Ambelain répondait: « déjà en 1948, au sein du Régime Ecossais Rectifié !…. »
Et de s'en expliquer: «En effet, nous avons soigneusement étudié les divers Rituels et Instructions tant de ses Loges de Saint-Jean que des Loges de Saint-André ou de son Ordre Intérieur. Tout y est indiscutablement marqué du sceau martinèsiste. On peut comparer les instructions des divers degrés des Elus-Cohen [...] avec celles figurant dans le "Rituel des Loges Ecossaises Rectifiées". La volonté très nette d'une perpétuation théorique des enseignement du Maître s'y avère indiscutable »
A son tour, Robert Amadou confirme :
“ Le rituel du premier grade, celui d'apprenti, contient quelques allusions à la réintégration, à peine intelligibles pour le récipiendaire. A l'autre extrémité, l'instruction secrète de la grande profession résume (sans le dire) le Traité de la réintégration. Entre le début et la fin, les références sont, à chaque degré, plus nombreuses et plus claires, et chaque rituel annonce que l'on en saura davantage à la prochaine étape »
Essai de synthèse :
L’étude de la doctrine du Régime Ecossais Rectifié , et surtout sa mise en pratique , procure des bienfaits certains.
La recherche de cette communion , de cette rencontre avec le Divin est personnelle, elle relève de l’intime .
Chacun d’entre nous peut trouver à travers la théurgie pratiquée dans un cadre précis, ou bien la pratique de l’Oraison , ou prière interne, un moyen de se relier à l’essence , à cette source unique de tout bien et de toute perfection .
Louis-Claude de Sant Martin trouvait ces méthodes ‘dangereuses’ , il interrogeait son maître Martines “Maître a-t-on besoin de tout cela pour prier le bon Dieu ? Alors que Martinès s’affairait pour installer son Temple Coën , il lui répondait que le travail intérieur n’était pas suffisant et que depuis la chute, la théurgie cérémonielle était devenue indispensable. “Il faut bien faire avec ce que l’on a !”
Conclusion :
Cette doctrine , qui est au centre des réflexions de notre Cercle d’étude nous prépare à retourner au sein de l’unité, de l’un primordial, non pas dans un but étroitement personnel de “divinisation” individuelle, mais de ‘réintégration universelle” de la totalité des mondes et des êtres, visibles et invisibles, dans l’unité divine, ce qui est bien autre chose.
Je terminerai en citant Saint Martin encore une fois, qui nous confirme que cet enseignement n’est rien d’autre que le meilleur moyen d’appréhender le mystère contenu dans le christianisme primitif :
« Le christianisme est le complément du sacerdoce de Melchisédec ; il est l'âme de l'Evangile ; c'est lui qui fait circuler dans cet évangile toutes les eaux vives dont les nations ont besoin pour se désaltérer. (...) le christianisme nous montre Dieu à découvert au sein de notre être, sans le secours des formes et des formules. (...) le christianisme ne peut être composé que de la race sainte et sacerdotale qui est l'homme primitif, ou de la vraie race sacerdotale. »
(Le Ministère de l'homme-esprit, 3e partie, « De la Parole ».)
Post- scriptum
méthode pour lire le traité :
Lettre du 25 mars 1822 de Jean-Baptiste Willermoz à Jean de Türkheim,